Le coin des artistes - Textes

Réminiscences

A Sophie

Le vieux chat noir rêve dans le jardin. Près de lui, un jeune moineau picore quelques graines. Le vieux chat noir ne bouge pas. Depuis longtemps, il ne chasse plus. Parfois des souris effleurent ses moustaches sans qu'il daigne s'en préoccuper. Les nuits d'été, les appels des minettes le laissent de marbre. Pourtant, dans sa jeunesse…
Le vieux chat noir savoure chaque rayon de soleil. Il souffre et sent ses forces l'abandonner. Il sait qu'il faudra bientôt partir.
De loin, quelques notes de musique… " piano gosse ", d 'Arthur Lourié….
Le vieux chat noir se souvient. D'une petite fille radieuse, dans une autre vie, dans un autre pays. D'une grande maison dans laquelle se trouvait un piano. Il aimait se promener sur les touches et la petite fille le prenait dans ses bras, l'appelant mon grand compositeur. Ensuite, elle jouait pour lui.
Immobile au soleil, il écoute les notes. Elles volent autour de lui, dans la lumière. Il pourrait les attraper s'il n'était aussi fatigué.
La petite fille serait un jour une grande pianiste, et il la suivrait partout.
Il l'aimait, comme seuls aiment les chats.
Le vieux chat noir se souvient. Des bouleaux devant la maison, du bruit des clochettes, assourdi par la neige.
Des poètes venaient parfois dans la maison de la petite fille. Pensive, elle écoutait leurs vers. Quand elle serait grande, elle y ajouterait sa musique.
Puis elle enfouissait son visage dans la fourrure du chat très aimé, lui parlant dans une langue douce, dont il entend l'écho affaibli.
Le vieux chat noir se souvient. Des années de terreur, de l'homme aux moustaches de cafard. *, de l'angoisse, la nuit, quand une voiture s'arrêtait sous la fenêtre, des poètes suicidés.
Des hommes en manteau de cuir ont emmené la petite fille et ses parents. Nul ne les a jamais revus.
Le vieux chat noir ouvre les yeux. Que fait-il donc dans ce jardin ? Où sont les bouleaux et le bruit des clochettes ?
Le petit moineau picore toujours.
Les notes de musique sont de plus en plus lointaines.
Le vieux chat noir a froid, sous le soleil.
La petite fille radieuse avance vers lui, les bras tendus.
La musique s'est arrêtée.

*Allusion au poème d'Ossip Mandelstam, "Nous vivons sans sentir le pays sous nos pieds "

(MHK 1999)

Merci à MHK pour ce texte

Le Grand Bal des Chats

A Marie-Caro et Calliope

Fort élégant dans son smoking, le jeune chat noir et blanc s'admire dans le miroir. Il est convié à son premier bal. Il va rencontrer la meilleure société féline.
Déjà, il rêve des jolies minettes qu'il invitera. Aucune ne lui résistera. Sa maman lui a répété qu'il est le plus beau, le plus intelligent des matous.
Lorsqu'il arrive, l'orchestre joue son air préféré : " le duo des chats ". La salle lui paraît immense. Il est ébloui par les lumières. Les buffets croulent sous le poids des jattes de crème fraîche.
Assises dans un coin, de vieilles chattes douairières contemplent d'un air désapprobateur les jeunes. " Quel manque de tenue ", miaulent-elles. " A notre époque, on n'aurait jamais vu ça ".
Des matous fort graves, parlent de leurs affaires et se plaignent du prix de la queue de souris.
Ils ont le poil brillant et la moustache arrogante.
Monsieur Triquet, chat tigré famélique, professeur de danse et de musique, chante un air de sa composition à un groupe de jeunes chattes admiratives.
C'est à ce moment que le jeune chat noir et blanc la voit. Une toute petite chatte noire et blanche, son double. Elle semble fort intimidée et cherche des yeux sa maman.
Il s'approche d'elle et renifle son museau. Elle ronronne.
Ils s'en vont dans le parc contempler les étoiles. Il lui indique, très loin dans le ciel, la planète d'origine de tous les chats. Un jour, ils y retourneront. Il sera près d'elle dans le grand vaisseau spatial. Jamais plus ils ne se quitteront.
Le jeune chat noir et blanc se réveille.
Toute sa vie, il cherchera la petite chatte de son rêve, son double.

(MHK 16 01 2000)

Merci à MHK pour ce texte