Les chats sorciers

(Bretagne)

Jadis les chats dont on n'avait point coupé le bout de la queue avaient coutume de s'assembler à jour fixe : on les voyait réunis au clair de lune sur quelque lande déserte, non loin des Roches-aux-Fées et des Pierres-Debout. Ils délibéraient, graves comme des prêtres à l'église, et personne n'aurait osé passer près d'eux et encore moins les déranger quand ils tenaient leurs réunions pleinières. On racontait à la veillée d'étranges et effrayantes histoires à des gens assez audacieux ou assez fous pour
avoir voulu se mêler à leur société : les uns étaient morts subitement, d'autres avaient été si terrifiés de voir tous les chats darder vers eux leurs prunelles brillantes comme des charbons ardents et les regarder d'un air irrité que leurs cheveux étaient devenus blancs en une nuit, et ils tremblaient encore rien qu'en pensant aux assemblées nocturnes des matous.

Jean Foucault s'en revenait par une belle nuit de la foire où il s'était un peu attardé dans les auberges, parce que le cidre était bon cette année-là. Il était tout joyeux et marchait gaiement en chantant à tue-tête, lorsqu'au détour d'un chemin creux il aperçut tout à coup une nombreuse réunion de chats rangés autour d'une croix de pierre. Il y en avait de toutes les grosseurs, et de toutes les couleurs ; à la vue de tous ces matous, la voix du chanteur s'étrangla dans son gosier, et il se mit à trembler comme un homme qui a les fièvres, car les chats poussaient des miaulements irrités, voûtaient leurs dos souples où le poil se hérissait, redressaient leurs queues et le regardaient avec des yeux qui luisaient dans la nuit.

Sa terreur augmenta encore lorsqu'il vit le plus gros de la bande accourir vers lui : il ferma les yeux, s'attendant à être mis en pièces et récita son acte de contrition. Mais, au lieu de sentir les griffes du chat s'enfoncer dans sa chair, il s'aperçut que l'animal se frottait le long de ses jambes en faisant un ronron joyeux comme s'il avait eu envie d'être caressé. Jean Foucault ouvrit les yeux et reconnut son propre chat qui se mit à marcher devant lui, et qui tantôt le précédait, tantôt revenait vers lui et le caressait avec sa queue.

Quand Jean Foucault arriva avec son conducteur à l'endroit où était l'assemblée, les matous étaient assis tranquillement car le chat avait dit à haute voix à ses confrères : " Laissez passer Jean Foucault ".

(conté par Emile Frostin, de Matignon, 1863, Contes Populaires de la haute Bretagne, Charpentier, 1880).



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